Pour une réédition
du livre de F.G MAFFINA Playdoyer de Philippe Blanchard
Paru en 1978 chez l'éditeur turinois Martano.
Plaidoyer pour une réédition du livre de G. Franco Maffina Philippe Blanchard
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A la fois, compositeur de musique concrète, de musique acousmatique et artiste
de sons fixés, il me semble nécessaire aujourd'hui de réinscrire
l'histoire de ce siècle dans ma propre culture musicale. Le "Bruitisme"
de Luigi Russolo (1885-1947), par la conception de ses instruments et par l'importance
des écrits théoriques est incontestablement à l'origine aussi
bien de líinspiration de Varèse que de la pratique de la musique concrète
par Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Nous sommes, quelque soit l'origine de notre
apprentissage, tous concernés par son oeuvre et influencés par cet
art des bruits.
La Fondation Russolo-Pratella (1) travaille depuis 1979 à la redécouverte
de ces deux précurseurs de la musique moderne, en rendant hommage aux úuvres
musicales futuristes : organisation de conférences, concerts de líensemble
Russolo, et concours de musique électroacoustique destiné aux jeunes
compositeurs.
Grâce à des recherches personnelles et à la constitution d'une
vaste documentation sur l'époque Futuriste, G. Franco Maffina et sa femme
Rossana Maggia s'emploient à mettre en évidence le travail méconnu
de Russolo lors de formidables conférences qui souvent se prolongent tard
dans la nuit (2). Patiemment, la Fondation a également reconstitué
les bruiteurs de Russolosur la foi de photographies, de témoignages écrits
et de líunique enregistrement (de très mauvaise qualité) de sa Serenata
jouée lors du concert futuriste dirigé par Antonio Russolo à
Paris en 1921. Car les instruments de Luigi Russolo n'ont pas eu de chance, tous
ont été détruits par la guerre ou par l'oubli. Du Rumorharmonium,
sorte d'ancêtre du piano préparé, il ne reste que cette émouvante
description de Jean Painlevé : "Ce piano droit permettait, par le jeu
des touches, de frapper, pincer, agiter. Ainsi des plaques métalliques étaient
mises en branle, des débris de vaisselle s'entrechoquaient, des cylindres
de carton résonnaient, des ñ je crois ñ soufflets gémissaient... Une
pédale faisait cesser tout bruit en cours. On passait ainsi des halètements
de machines ou des coassements de crapauds, à des dégringolades de
porcelaine, des gifles, des appels étouffés, des cris... Qui suggéra
à Russolo vers 1939 de réfugier son instrument dans mon laboratoire,
je ne sais plus..."
A travers líEurope, líensemble Russolo joue donc de ces bruiteurs aux noms si poétiques
(Hululeur, grondeur, crépiteur, strideur, glouglouteur, croasseur, froufrouteur,
éclateur, sibileur...)
et aux timbres si mystérieux (Crash, boum boum, bang, uuuuu !) dans des concerts
dignes de ceux du début du siècle. Au programme, les úuvres de Russolo
côtoient celles díautres futuristes comme Pratella, Giacomo Balla, Fortunato
Depero, Filippo Tomaso, Antonio Russolo (le frère de Luigi), ainsi qu'une
élaboration de voix de Marinetti (Di Guerra, 1917). Pierre Schaeffer
assista díailleurs au concert du 18 mars 1982 donné au Centre Georges-Pompidou
et communiqua par la suite dans un courrier tout le plaisir qu'il eut à cette
occasion. Les concerts de l'ensemble Russolo ne débouchent plus sur une émeute
comme cela fut le cas en 1913 à Milan. Aujourd'hui, au Cabaret Futuriste,
Rossana Maggia adapte avec beaucoup de talent et de fantaisie des vers libres futuristes
de Balla, Depero et Marinetti pour voix, piano et intonarumori. A Annecy,
dernièrement, Rossana Maggia nous fit l'honneur de nous offrir une de ses
dernières créations Omaggio a Luigi Russolo. Les sons des Bruiteurs
avaient été traités avec une autre machine : la ìWorkstation
1925î qui, de fabrication contemporaine, conservait néanmoins toute la magie
du passé. La voix níétait pas superposée à la trame instrumentale,
mais les mots entonnés à intervalles divers, dans le but de mettre
en relief leur valeur expressive et phonique sans pour autant modifier le sens du
texte. Par des cascades díonomatopées, Rossana Maggia, dans une interprétation
raffinée, nous a propulsés ce soir-là vers une galaxie vocale
de chutes-glissées, d'effets de fronde et de planètes en suspensions,...
chemin futuriste personnel qui nous mènera jusqu'aux bords du chaos !
Outre ses différentes activités liées à la Fondation
Russolo-Pratella, Maffina a également écrit un livre Luigi Russolo
e líarte dei rumori (L. R. et l'Art des bruits) paru en 1978 chez l'éditeur
turinois Martano.
Cet ouvrage aujourd'hui épuisé n'a jamais été traduit
en français. La première partie évoque la vie de Russolo depuis
sa naissance le 30 avril 1885 à Portogruaro jusquíà sa mort en 1947
à Cerro di Laveno. La deuxième partie regroupe des écrits de
Russolo lui-même : L'Art des bruits (1913), plusieurs brevets de ses
inventions, une description de l'archet enharmonique et quelques textes parus dans
des revues françaises ou italiennes (dont les fameuses critiques musicales
extraites du journal La Borsa). La dernière partie du livre est consacrée
à sa correspondance (avec Margherita Sarfatti, Maria Zanovello, Fortunato
Depero etc...) Enfin, ce livre, très documenté, reproduit le texte
de la dernière conférence tenue par Russolo à la galerie Borromini
de Como en 1944.
L'importance de ce livre est donc considérable, d'autant qu'il s'appuie sur
les documents historiques exceptionnels détenus par la Fondation. C'est sans
doute líouvrage le plus complet jamais édité concernant l'úuvre picturale
et musicale de Luigi Russolo.
Si contrairement à Varèse, Russolo n'a pas pressenti toutes les possibilités
nouvelles permises par l'enregistrement sonore, il eut cependant l'intuition dans
son manifeste L'Art des bruits que les enjeux de la musique moderne seraient
non seulement d'enrichir líalphabet musical mais également d'écouter
avec attention notre environnement : "Il faut élargir et enrichir de
plus en plus le domaine des sons. Cela répond à un besoin de notre
sensibilité. Nous remarquons en effet que tous les compositeurs contemporains
de génie tendent vers des dissonances toujours plus complexes... Il faut remplacer
la variété restreinte des timbres des instruments de líorchestre par
la variété infinie des timbres des bruits obtenus au moyen de mécanismes
spéciaux... Les modes infinis par lesquels, dans la nature, dans la vie et
dans les machines surtout, le bruit est produit, offrent un vaste champ de recherche
pour l'étude des différentes manières díexcitation pour produire
les vibrations bruitistes... Chacun voit quel champ illimité s'ouvre ainsi.
La vie nous offre un nombre énorme (et toujours croissant) de bruits..."
Et bien qu'il soit admis aujourd'hui par tous que le bruit n'est qu'une question
subjective, qu'il est d'abord un son qui dérange, (malgré la confusion
du "son-bruit"), Russolo aura néanmoins participé à
la révolution musicale du XXè siècle en offrant un précieux
manuel à une réécoute du monde et en inventant d'audacieuses
machines, notamment cet instrument : le Rumorharmonium, orgue qui ressemble
étrangement à nos échantillonneurs actuels.
N O T E S
(1) La Fondazione Russolo-Pratella est drigée par G.Franco
Maffina. Son adresse est la suivante : Via Bagaini, 6. 21100 Varese (Italie). Le
Concours International Luigi Russolo, organisé par la Fondation, récompense
chaque année les travaux de jeunes compositeurs, contribuant ainsi à
inscrire l'úuvre de Russolo dans la mémoire du présent.
(2) Ce Concert-Conférence a été organisé au Musée-Château
d'Annecy, le 18 mars 1995.